Exceptionnelle découverte !

Nous ne saurons jamais si nous devons remercier Merlin l’enchanteur ou la Dame du lac, mais nul doute que la magie bretonne était avec nous vendredi 11 juin quand nous avons découvert dans le catalogue de la librairie Raphaël Thomas installée à Rennes, quatre dessins inédits de l’hôtel de Brienne ! Ce morceau d’histoire comprend un plan-masse du rez-de-chaussée et trois élévations : la façade de l’hôtel côté cour, celle côté jardin et enfin, l’entrée rue Saint-Dominique. L’ensemble est exceptionnel à plus d’un titre.

Élévation sur la rue (Ensemble de 30,7 x 70,4cm. Dessin de 20,1 x 59,8cm.).
Caractéristique des trois élévations : encre de Chine et lavis d’encres noire et rose ; dessin entouré d’un filet et d’une bordure d’encadrement noir à l’encre de Chine et bordé de papier bleu, contrecollé sur une feuille. Malgré deux marques de plis verticaux, les dessins sont en excellent état.

Chaînon manquant

Deux plans de l’hôtel de Brienne sont déjà connus. Celui du XVIIIᵉ siècle, au temps de la marquise de La Vrillière (1725-1728) puis de la princesse de Conti (1733-1775), reproduit et décrit par Jean Mariette ou Jacques-François Blondel dans leurs recueils d’architecture publiés en 1727 et 1752. Celui également de 1819, conservé au Service Historique de la Défense (SHD), exécuté quand, au début de la Restauration, l’hôtel particulier est transformé en ministère de la Guerre. En revanche, aucun plan révélant les modifications apportées au bâtiment sous le Premier Empire, lorsque Lucien Bonaparte, entre 1802 et 1804, puis sa mère Letizia, à partir de 1805, en étaient propriétaires, ne semble avoir été répertorié à ce jour. C’est ce chaînon manquant qui vient de réapparaître, accompagné des trois élévations dont nous ne suspections pas l’existence puisque, a priori, elles n’ont jamais été gravées. 

Nombre d’hôtels particuliers parisiens ne disposent plus que d’une documentation parcellaire, quand elle n’a pas complètement disparue. Raconter leur histoire relève de l’enquête policière, au cours de laquelle chaque pièce versée au dossier permet de nouvelles déductions. Ainsi, en l’absence des plans correspondants, l’état des lieux effectué en 1801, lorsque Lucien commence par louer l’hôtel du faubourg Saint-Germain, indique, à peu de choses près, la configuration des intérieurs du temps du comte Athanase Loménie de Brienne, dernier propriétaire avant la Révolution. Le témoignage du compositeur allemand Johann Friedrich Reichardt offre un aperçu de la « résidence magnifique, d’un goût sobre et délicat, sans clinquant ni colifichets » de Lucien. L’hôtel de Letizia se reconstitue au fil de la correspondance familiale, des devis de restauration de mobilier ou encore de l’inventaire dressé lors de la vente de l’hôtel à l’Etat en 1817.

Les quatre dessins que notre association vient d’acquérir (lire « Une aventure collective ! » ci-dessous) ne dévoilent pas tous les secrets de l’hôtel sous le Premier Empire - le plan du premier étage manque toujours à l’appel - mais ils contribuent à sa compréhension, permettront de confirmer ou d’infirmer certaines hypothèses et…d’en émettre de nouvelles.  

Élévation sur jardin (Ensemble 30,7cm x 70,4cm. Dessin de 20,1 x 59,8 cm)
Au-dessus des balustrades, les toitures des bâtiments latéraux n’existaient pas sur l’élévation reproduite au XVIIIe siècle.

Plusieurs chapitres de l’histoire 

Les trois élévations diffèrent de celles reproduites au XVIIIᵉ siècle, mais ne sont pas complètement fidèles au plan. Cependant, des éléments architecturaux représentés datent de la période pendant laquelle Madame Mère était maîtresse des lieux. En effet, côté cour, on remarque sur l’aile ouest la surélévation qu’elle fait réaliser en 1810-1811, tandis que l’aile est ne comporte pas encore celle commandée en 1816 par le maréchal Clarke, alors ministre de la Guerre. Ces deux étages supplémentaires donneront au bâtiment son apparence actuelle. Petit détail : côté cour, des armoiries sont dessinées dans l’écusson du fronton, alors que celles sculptées sous l’Ancien Régime sont censées avoir été grattées à la Révolution. Réalité, projet ou fantaisie de l’architecte ?

Certains détails laissent penser que le plan est celui dessiné par l’architecte Jean-Jacques Lequeu en 1797-1798, à la demande de la veuve du comte de Brienne pour la mise en vente de l’hôtel, peut-être transmis successivement aux propriétaires suivants (Ségui, Lanfrey) jusqu’à Lucien Bonaparte puis Madame Mère. Document de travail passé entre les mains de différents architectes, il raconte à lui seul plusieurs chapitres de l’histoire de l’hôtel de Brienne. 

Sur le plan d’origine, des morceaux de papier ont été collés par endroit afin de figurer la distribution, les constructions ou les extensions dus aux Bonaparte. Par la magie de ces ajouts, nous voyons apparaître, pour la première fois, les galeries destinées à la sublime collection de tableaux de Lucien, dans lesquelles Chateaubriand a rencontré Napoléon en 1802, ou la salle à manger de Madame Mère capable de contenir une table de dix mètres de longueur et soixante-six chaises en acajou.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! En mars 1814, après la débâcle, Letizia rejoint Rome et dès le mois de mai, le gouvernement de la première Restauration choisit l’hôtel pour installer le ministère de la Guerre. Un arrangement permettant son occupation est conclu sous seing privé, toutefois les négociations du prix traînent et sont interrompues dès le retour de Napoléon. Le 1er juin 1815 Letizia retrouve sa maison, pour quelques semaines seulement : après l’abdication de l’Empereur, elle quitte Paris définitivement le 19 juillet. Le ministère reprend aussitôt possession des lieux et, même si l’achat de l’hôtel par l’Etat n’est entériné que le 19 février 1817, des travaux sont engagés pour l’adapter à sa nouvelle destination. Or des annotations au crayon suggèrent que l’architecte chargé de transformer l’hôtel en ministère de la Guerre, s’est servi du plan comme « brouillon », relevant ici les cotes d’une pièce, esquissant là une cloison, une remise ou un escalier qui prendront formes sur le plan de 1819. 

Élévation sur la cour (Ensemble de 33,4 x 70,4 cm. Dessin de 22,7 x 59,5 cm)

Visite privée 

Plié en dix, sans doute promené d’études de notaire en ateliers d’architecte, ce document de travail montre quelques signes de fatigue. Son papier froissé et usé par endroit, ses petites déchirures aux pliures, ce coin de papier décollé, évocations de la main de ceux qui, avant nous, se sont penchés au-dessus de lui, ne le rendent que plus émouvant. Il nous offre une visite privée de la demeure, telle qu’elle était il y a un peu plus de deux siècles.  

Comme au temps de la marquise de la Vrillière, l’enfilade de pièces donnant sur le jardin est la partie la plus prestigieuse de l’hôtel. Frère de l’Empereur, homme politique, ami de tout ce que Paris compte d’artistes et d’intellectuels, Lucien reçoit beaucoup, souvent et luxueusement. Nul doute que ces soirées mondaines trouvent dans les deux salons (6) un faste à la hauteur du pouvoir de l’hôte des lieux et du talent de ses invités. Ces salons ont connu peu de modifications depuis la princesse de Conti ; celui situé au centre a conservé son décor de style « rocaille » et son ciel peint en trompe l’œil. Depuis les années 1950, il accueille le bureau du ministre.

De dix, les pièces de l’enfilade sont passées au nombre de six après les travaux orchestrés par Lucien. Grand collectionneur d’œuvres d’art, il a fait abattre les cloisons de plusieurs petites pièces afin de créer une galerie pour ses tableaux de maîtres, notamment italiens et français (5). C’est de cette galerie que partirait le sous-terrain rejoignant, place du Corps-Législatif, l’appartement de la belle Alexandrine de Bleschamps, qu’il épousera secrètement en 1803. 

En bleu, les éléments existants préalablement sur le plan; en violine, les ajouts de papier; entre parenthèses, les anciennes pièces.

  1. Porche

  2. Salle et logement du portier

  3. Cour d'honneur

  4. Vestibule

  5. Galerie de tableaux (chambre et petites pièces attenantes)

  6. Deux salons

  7. Deux antichambres

  8. Salle de billard (salle à manger et salle des buffets)

  9. Grand cabinet (chambre et petites pièces attenantes)

  10. Petite salle à manger (chambre à coucher)

  11. Grande galerie de tableaux (cour et pièces de service)

  12. Cour intérieure

  13. Chambre avec alcôve (chambre et 2 pièces indéfinies)

  14. Salle de bain avec baignoire (passage)

  15. Boudoir (construction neuve)

  16. Cour des écuries : remises pour cinq attelages (à gauche), écuries et "Cour des fumiers" près du porche

  17. Cour des cuisines avec "Salle du fourneau", "Lavoirs", "Dépôt des porcelaines" et plusieurs offices. Quelques modifications, peut-être à la suite de la construction de la grande galerie

  18. Chapelle

  19. Écuries

  20. Bâtiment pour des remises

  21. Terrain acheté en 1808 et orangerie

  22. Elément décoratif du plan, ce jardin à la française n'a peut-être jamais existé. Pas plus que ceux proposés en 1819 par l'architecte chargé de transformer l'hôtel en ministère.

Pour sa collection de peintres flamands et hollandais, il fait construire, sur l’emplacement d’une cour et de pièces de service, dont une « Salle à laver l’argenterie » !, une grande galerie voûtée. Son éclairage zénithal offre une parfaite mise en lumière des tableaux et permet d’augmenter, sur les murs sans fenêtres, la surface disponible pour les cimaises (11). Tous les contemporains qui ont pu l’admirer considère cette collection mieux présentée que celles des musées. 

Quand il quitte la France en 1804, Lucien laisse plus de deux-cent tableaux à sa mère, cependant, elle transforme la galerie voûtée en grande salle à manger, destination qu’elle conservera jusqu’en 1859-1863. Dénommée ensuite « galerie des armures », elle perd son éclairage zénithal lors des travaux menés en 1954-1958 et devient une salle de réunion (appelée désormais « Salon Leclerc »).

Nombre de petites pièces, caractéristiques des hôtels du XVIIIᵉ siècle, ont disparu au profit des pièces de vie et du confort, une évolution qui s’explique autant par le goût et le statut impérial des occupants que par les progrès des systèmes de chauffage et d’éclairage. Ainsi autour de la cour intérieure (12), l’appartement a sensiblement été modifié : la suppression de deux pièces a permis d’agrandir la chambre d’une alcôve dans laquelle se trouve le lit (13). Le passage entre la cour et celle des écuries a été fermé par la construction d’une salle de bain avec baignoire (14). Dans les deux autres pièces ajoutées au bâtiment, seul le boudoir a été créé à l’époque de Madame Mère (15) ; celle représentée à sa droite, existait déjà sur le plan. 

En multipliant les travaux de gros œuvre, Letizia change en partie l’aspect de la propriété. En 1806, elle achète une portion de bâtiment et de terrain dépendant de l’ancien couvent Saint-Joseph. Elle prolonge alors l’enfilade côté jardin par une chapelle (18), qui sera détruite dans les années 1950. Le long du mur mitoyen qu’elle fait élever, un nouveau bâtiment abrite des écuries supplémentaires (19) ; un corps parallèle à la grande galerie est également construit sans doute pour des remises (20).

En 1808, Letizia acquiert le terrain situé au-dessus de cette extension. L’ajout de papier correspondant est manquant, il n’en reste qu’une petite trace (21). Il devait représenter l’orangerie bâtie en 1809, disparue à la fin du XIXᵉ ou au début du XXᵉ siècle. Grâce à ces deux achats la propriété passe de 8 000 à plus de 11 300 mètres carrés, dont près de 6 000 réservés au jardin. 

Alors que les Bonaparte embellissent et agrandissent leur demeure, depuis 1803, à l’initiative du maréchal Berthier, de nombreux services du ministère de la Guerre ont été regroupés entre la rue de l’Université et la rue Saint-Dominique. Au début de la Restauration, quand il faut reloger le ministre, la proximité de l’hôtel de Brienne le désigne naturellement. Les deux années qui suivent son achat par l’Etat, sont consacrées à donner une cohérence à cet « îlot Saint-Germain ». C’est l’objectif du plan dessiné en 1819 et le début d’un nouveau chapitre de l’histoire.


Une aventure collective

Jean-Yves le Drian et le Prince d’Essling, président de la Fondation Napoléon, lors de l’Assemblée générale des Amis de l’hôtel de Brienne le 7 septembre dernier.

Toute notre reconnaissance à la Fondation Napoléon qui nous a apporté son concours financier pour l’acquisition de ces dessins, ainsi qu’aux Amis de la BnF, présidés par Jacqueline Sanson, pour l’accès aux conseils des conservateurs de la Bibliothèque nationale de France.

Sans ces liens d’amitié, les dessins seraient retournés se cacher dans une collection privée. Ils seront bientôt accessibles aux chercheurs qui, nous l’espérons, perceront tous leurs secrets.

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