
L’histoire de l’hôtel de Brienne
Un hôtel nommé Brienne
De la marquise de Prie à Letizia Bonaparte sa dernière propriétaire, les femmes ont joué un rôle déterminant dans son histoire, mais l’hôtel qui accueille le Ministère de la Défense doit son nom à un homme : Athanase-Louis-Marie de Loménie, comte de Brienne.
En 1724, la marquise de Prie, maîtresse du duc de Bourbon, choisit le quartier à la mode du faubourg Saint-Germain pour s’établir à Paris. L’hôtel dessiné par l’architecte François Debias est un modèle de l’architecture parisienne du règne de Louis XV : contrairement au palazzo italien construit sur rue autour d’une cour à portique, l’hôtel particulier « à la française » s’élève entre « cour et jardin », protégé du bruit et de la saleté de la ville par un mur écran de part et d’autre d’un portail monumental. Dès 1725, Madame de Prie renonce au projet. La marquise de la Vrillière achève alors l’hôtel et s’y installe en 1728. On lui doit notamment l’escalier du vestibule, une des plus belles pièces de serrurerie de l’époque signée Chevalier, les mascarons et les frontons - deux anges assis sur des nuages tenant un écusson aux armes, côté cour ; Flore et des putti jouant avec des colliers de fleurs, côté jardin - sculptés par Fauquier. En 1733, l’hôtel est vendu à Louise-Elisabeth de Bourbon-Conti, petite-fille de Louis XIV qui y vivra plus de quarante ans.
A sa mort en 1775, son petit-fils, le comte de la Marche, hérite de l’hôtel de Conti qu’il s’empresse de vendre, pour régler les créanciers de la princesse, le 20 janvier 1776 au comte de Brienne. D’importants travaux de rénovation et de décoration (lambris, lustres, glaces, tableaux, mobilier, etc.) hissent alors l’hôtel au rang des somptueuses demeures aristocratiques. Le décor de style néo-classique du salon rouge au rez-de-chaussée est réalisé à cette époque. Le 18 mai 1787, la crise financière conduit le frère du comte, l’archevêque Loménie de Brienne à devenir ministre des finances de Louis XVI. En août, il reçoit le titre de « ministre principal » et procède à quelques nominations dont Athanase, lieutenant général des armées du roi depuis 1780, au poste de secrétaire d’Etat de la Guerre. Cependant, ne parvenant pas à faire accepter son plan d’économie, il démissionne le 25 août 1788, suivi de peu par son frère (28 novembre 1788).
Sous la Révolution, retiré sur ses terres, Athanase est élu maire de la commune de Brienne-le-Château, mais en 1794, le Tribunal révolutionnaire décide l’arrestation des deux frères : Mgr de Brienne meurt le 19 février (attaque ou suicide) ; Athanase est guillotiné le 10 mai. Confisqué, le luxueux hôtel est transformé en bureaux pour diverses commissions révolutionnaires, les services des subsistances militaires y demeurant jusqu’en février 1796. Lorsqu’il lui est restitué, Mme de Brienne le vend à François Ségui (1798), fournisseur des armées, qui doit le céder à Joseph Lanfrey en 1800 pour éponger ses dettes.
D’abord locataire, Lucien Bonaparte l’achète en 1802 et en fait « une résidence magnifique, d’un goût sobre et délicat, sans clinquant ni colifichets » avec une galerie pour sa splendide collection de tableaux. Après son mariage avec Alexandrine de Bleschamp, désapprouvé par Napoléon, Lucien forcé de quitter la France pour Rome, se résout en 1805 à vendre l’hôtel à sa mère qui va modifier sensiblement la propriété : achat d’une partie des terrains du couvent Saint-Joseph, construction d’une chapelle et d’une orangerie, surélévation de l’aile basse côté jardin, etc. Comme d’autres hôtels du quartier, où Napoléon, qui a un faible pour le « noble faubourg », pousse ses maréchaux à s’installer, la demeure de Lucien puis de Madame Mère, n’a jamais vraiment abandonné son patronyme d’Ancien régime.
A la chute de l’Empire, une ordonnance de Louis XVIII autorise le 23 mai 1814 l’affectation de l’hôtel de Brienne « à l’habitation personnelle du ministre de la Guerre et à l’établissement d’une partie de ses bureaux ». L’acquisition, finalisée en 1817, pour la somme de 852 833, fr. (avec le mobilier) fait entrer l’hôtel dans le domaine public qu’il ne quittera plus. Depuis il est devenu républicain, mais il est définitivement associé à Brienne, cette famille qui sut servir les rois de France depuis Henri IV.
Illustrations à récupérer dans le Courrier de Brienne n°2
Faubourg Saint-Germain, quartier des ministères
A la fin du XVIIe siècle, le Faubourg Saint-Germain compte moins d’une dizaine d’hôtels particuliers, dispersés entre les jardins et terrains vagues qui couvrent ce quartier excentré de Paris. L’urbanisation s’accélère avec la construction de l’hôtel des Invalides (1671-1706), puis celle du Pont Royal (1685-1689) qui facilite la circulation d’une rive à l’autre. Par ailleurs, l’atmosphère pesante de la cour de Versailles à la fin du règne de Louis XIV et la volonté du Régent de rester au Palais-Royal en 1715 poussent la noblesse vers la capitale. Quand le pouvoir quitte à nouveau Paris en 1722, les aristocrates qui s’était précédemment installés dans le Marais, délaissent ce quartier pour la rive gauche située sur la route de Versailles. A la mode, le Faubourg, avec ses vastes parcelles disponibles, attire les architectes en vogue et les spéculateurs qui élèvent, pour les revendre, des demeures dignes de cette clientèle exigeante. C’est dans ce contexte que se construit l’hôtel de Brienne.
Sous la Révolution, le retour du Pouvoir à Paris en octobre 1789 pose la question de l’installation des ministères. Dans un premier temps, la Marine obtient quelques pièces de l’hôtel du Garde-Meuble, les Relations extérieures sont dispersées dans plusieurs immeubles rue de Bourbon et rue d’Artois, le ministère de la Guerre investit un hôtel particulier de la Chaussée-d’Antin… les administrations se logent où elles peuvent, en fonction des opportunités. La Convention (1792-1795) qui cherche à remédier à ce désordre va profiter de la disponibilité de nombreuses propriétés confisquées à la noblesse (émigrés, emprisonnés, condamnés à mort), dont beaucoup se trouvent dans le Faubourg Saint-Germain. Les ministères occupent alors, tant bien que mal, ces élégantes demeures nichées entre « cour et jardin », cachées derrière leur porte monumentale et adaptées à cette destination imprévue. Le ministère de l’Intérieur élit domicile à l’hôtel de Brissac, rue de Grenelle, celui des Cultes à l’hôtel de Soyecourt, rue de l’Université, les Relations extérieures dans l’hôtel Gallifet situé rues de Varenne et de Grenelle, tandis que le ministère de la Guerre occupe plusieurs hôtels entre les rues de Varenne et Saint-Dominique.
Cette implantation dans le « noble faubourg » se confirme sous les régimes suivants. En 1808, Napoléon souhaite faire élever sur le quai d’Orsay, juste à côté de l’hôtel de Salm (Légion d’honneur) un hôtel pour le ministère des Relations extérieures, un second pour celui de la Police et deux pour le Royaume d’Italie (Relations extérieures et Secrétaire d’Etat d’Italie). Un projet qui ne verra jamais le jour, mais qui, pour la première fois, envisage la construction « sur mesure » d’édifices pour les ministères. Sous la Restauration, l’hôtel de Brienne, racheté à Letizia Bonaparte, est attribué au ministère de la Guerre et celui de Rochechouart devient le siège du ministère chargé de l’éducation. C’est en ce lieu, que, dans les années 1880, Jules Ferry, fait naître l’école républicaine, gratuite et laïque. La Monarchie de Juillet installe les Travaux publics dans l’hôtel de Roquelaure à partir de 1840 (actuel ministère de la Transition écologique). Au XXe siècle, l’hôtel Matignon devient la résidence officielle du Chef de Gouvernement - Léon Blum sera un des premiers à s’y installer en 1936 - et l’hôtel de Clermont, un des plus anciens hôtels particuliers du Faubourg Saint-Germain, propriété de l’Etat depuis 1948, accueille désormais le ministère des Relations avec le Parlement.
Si la « colonisation » de ces anciennes résidences aristocratiques par l’administration a parfois été à l’origine de quelques aménagements malheureux, elle a permis l’entretien et la préservation d’un patrimoine qui aurait peut-être sans cela disparu. A l’hôtel de Brienne, la restitution « à l’identique » du bureau de Charles de Gaulle (1982), les travaux de rénovation menés en 2001-2012 ou encore la restauration du bureau de Clemenceau en 2015-2016 ont contribué à ancrer dans l’Histoire un bâtiment qui demeure de pleine actualité au service de la République.
Les grandes dates du Ministère
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1817
L’achat par l’Etat de l’hôtel à Letizia Bonaparte est finalisé pour la somme de 852 833, francs (avec le mobilier). L’hôtel entre dans le domaine public qu’il ne quittera plus.
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1855/1863
Nombreux travaux sous le Second Empire, avec notamment la rénovation du salon central du rez-de-chaussée (actuel bureau du Ministre) et la transformation de la galerie de Lucien Bonaparte en salle de bal ou « galerie des armures ».
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1860
Le ministère s’agrandit avec l’achat de l’hôtel de Bourbon-Busset mitoyen, également construit par Debias-Aubry dans les années 1720, auquel sont ajoutés deux nouveaux bâtiments. Pour relier cet ensemble, dit « de la Lionne », à l’hôtel de Brienne, un passage est percé à la fin du siècle.
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1866/1877
Début du percement de la partie occidentale du boulevard Saint-Germain et construction par l’architecte Jules Bouchot de la nouvelle façade du ministère de la guerre sur ce boulevard.
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1914
Le premier drapeau pris aux Allemands est accroché le 17 août aux fenêtres de l’hôtel de Brienne.
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1917
Maître des lieux à partir de novembre, Georges Clemenceau donne régulièrement, depuis la fenêtre de son bureau du premier étage, des nouvelles du front à la foule massée dans la cour.
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1944
25 août, Charles de Gaulles retrouve les lieux tels qu’il les avait quittés en 1940 lorsqu’il était alors sous-secrétaire d’Etat à la Guerre. Il fait de l’hôtel de Brienne le siège du Gouvernement provisoire de la République française et choisit de s’installer dans un bureau donnant sur le jardin, mitoyen de celui qu’avait occupé Clemenceau.
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1946
Le Ministre de la Défense se réinstalle dans l’hôtel suite à la démission, en janvier, du général de Gaulle.
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1950
Au milieu du siècle, le premier étage est abandonné pour le salon central du rez-de-chaussée qui demeure encore aujourd’hui le bureau du Ministre.
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1965
Pierre Messmer fait installer dans une partie des caves un local assurant les communications avec les autres PC de crise de la région parisienne.
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1982
Restitution « à l’identique » du bureau de Charles de Gaulle, à l’initiative du Ministre Charles Hernu.
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1993
Le 21 janvier, classement de la totalité de l’hôtel de Brienne au titre des Monuments historiques.
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2000/2012
Travaux de restauration, sous la conduite de l’architecte Benjamin Mouton, pour rendre à l’hôtel de Brienne son lustre d’origine : salle à manger du premier étage, salons du rez-de-chaussée, porches, façades, etc.
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2012/2014
Restitution « à l’identique » du bureau de Georges Clemenceau à la demande du Ministre Jean-Yves Le Drian.
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2016/2018
Restitution du PC Brienne dans son état du début des années 1980 grâce à l’engagement financier de l’association des Amis de l’hôtel de Brienne.
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2017
Bicentenaire de l’hôtel de Brienne en tant que résidence du Ministre de la Défense.
Découvrez les lieux emblématiques de l’hôtel de Brienne
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Le bureau de Georges Clemenceau
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Le bureau du général de Gaulle
Si dans nombre de lieux parisiens, il suffit de pousser une porte pour entrer dans l’Histoire, à l’hôtel de Brienne, on n’en finit pas, d’une porte à une autre, d’explorer le palimpseste vertigineux des temps. Derrière l’une d’elle, nous nous retrouvons, dans les pas d’un jeune général de brigade qui vient d’être appelé au Gouvernement d’un pays assiégé, Charles de Gaulle.
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Le PC de Brienne
On sait que l’Hôtel de Brienne est, depuis deux siècles, le siège du ministère de la Guerre – dans les différentes dénominations qui se sont succédé. On sait cependant moins qu’entre 1978 et 2016 ce même hôtel a abrité un lieu secret, pièce maîtresse de la dissuasion nucléaire française.